La revue trimestrielle du Gsara


Récit

« Et si ‘Washing Machine’ devenait un concept pour parler du cycle, d’un jour qui laverait le suivant, comme le temps lave le souvenir »

Stefanie BodienOptiques n°2 – hiver 2023

Dans les coulisses de la fabrication de Washing Machine.

Dossier de travail, constitué par Florence Cats et Joseph Hogan, assemblé par Stefanie Bodien, responsable de l’Atelier de production.

Dans le présent dossier, nous aimerions donner à voir, à lire et à écouter les différents éléments qui se trouvent à la base du documentaire Washing Machine qui dresse le portrait, avec comme point d’ancrage le lavomatique Airwash, de tout un quartier, celui appelé « la petite Anatolie » à Schaerbeek (nomination qui s’explique par la présence importante de la communauté turque – et depuis quelques années aussi bulgare – dans cette partie de Bruxelles). Pour consulter les différents éléments qui ont servi comme sources d’inspiration ou qui font partie intégrante du film, il faut cliquer sur les liens dans le texte qui va suivre – texte qui témoigne des étapes successives de la Résidence « point de vue – point d’écoute » #2.

La Résidence « point de vue – point d’écoute » #2

Ce printemps, un appel à projets avait été lancé par l’Atelier de production du GSARA dans le cadre de la deuxième édition de la Résidence « point de vue – point d’écoute », en partenariat avec Peliskan et la Maison des Arts à Schaerbeek.

Il s’agissait de trouver deux artistes (l’un.e sonore, l’autre travaillant la pellicule) amené.e.s à faire, en binôme, un film sur le sujet du vêtement. Ce sont Florence Cats (field recording, piano, thérémine) et Joseph Hogan (film super 8) qui avaient été choisis parmi les candidat.e.s. De leur collaboration est né le documentaire expérimental de 18 minutes Washing Machine, réalisé au cours de l’été. Toutes les infos sont ici.


À propos des artistes:

Le travail en commun de Florence Cats et Joseph Hogan allie le dessin, le field recording, l’écriture et la photographie pour explorer un territoire. Traîner quelque part, ramasser, observer, attendre, marcher, rencontrer, relier…. Puis composer des livres, des expos et des films à partir d’instantanés, de notes, de documents, impressions plurielles, hybrides et anachroniques.

À propos du film:

Le point de départ de Washing Machine est un lavomatique situé dans un quartier populaire de Bruxelles. À partir de ce lieu modeste, Joseph Hogan et Florence Cats ont composé un poème visuel hybride qui dépeint la vie quotidienne telle qu’elle se déroule sur la place et dans les rues adjacentes. Le film évolue dans une forme fragmentée qui laisse place à une poétique de l’accident, comme si la forme du film se révélait au cours du processus. Les images texturées, tournées en super 8, se mêlent à des paysages sonores, des voix et une musique fragile. Le récit s’articule autour de plusieurs parties qui alternent les tons et les styles pour composer une pièce polyphonique. Tout se mélange dans un mouvement incessant, comme l’intérieur d’une machine à laver en mouvement.

Entre le 22 septembre et le 26 novembre, le film a été montré en boucle dans le cadre de l’exposition « Dressing » qui fut mise en place par La Maison des Arts à Schaerbeek.

Pistes de travail

J’ai rencontré Florence et Joseph au début de l’été dans un café en face de l’église Sainte Marie à Schaerbeek, à 50 mètres du lavomatique Airwash, afin de discuter avec eux de leurs premières pistes de travail. Après coup, je suis impressionnée de voir à quel point ils avaient déjà en tête la plupart des éléments du film à venir à ce moment-là : dans le film fini, il y aura la statue de Nasr Eddin Hodja1, le « maître fou » dont l’idiotie splendide fascine Joseph et Florence depuis longtemps (à titre d’exemple, voici cinq histoires autour de ce personnage).

Il y aura, d’une manière ou d’une autre, la chanson « Washing Machine » des Sonic Youth (une référence musicale importante pour ce duo d’artistes qui travaillent ensemble depuis 2010), mais aussi des textes que Florence a écrits en faisant des repérages sonores à Airwash et sur la place jouxtant le lavomatique (textes qui finalement ne se trouvent pas dans le film mais qui ont fait partie intégrante du processus de réalisation), ainsi que des voix des personnes rencontrées…

Très vite, Florence et Joseph ont décidé d’utiliser les 6 instructions qu’ils ont trouvées sur le mur d’Airwash quant à la mise en marche d’une machine à laver : vider les poches, remplir, ajouter du savon, etc : ce sont ces 6 étapes qui structurent le film en 6 chapitres. Et l’idée de demander au « Prince du Carnaval de Schaerbeek », figure légendaire et parfaitement représentée par McCloud2, d’apparaître dans leur film est venue également dès les premiers jours de travail. Tout comme l’idée de mélanger la pellicule couleur et noir et blanc. Voici quelques photogrammes du film pour illustrer certains de ces éléments :

Florence en train de prendre des notes dans son cahier au lavomatique Airwash.
Image en noir et blanc prise avec une caméra double 8.

Le « Prince du Carnaval de Schaerbeek » devant la statue de Nasr Eddin Hodja.

Le tournage : les images et le son

Le tournage a démarré peu après notre première rencontre. Florence a enregistré le son en circulant dans le salon-lavoir et sur la place, entre 5 et 30 minutes par session de travail. Entre-temps, Joseph s’est mis à filmer notamment la place devant Airwash car la lumière à l’intérieur du lavomatique était la plupart du temps insuffisante.

Aussi a-t-il trouvé beaucoup de choses et de personnes à filmer sur cette place : les gens qui passent et repassent, souvent les mêmes, et l’ambiance très particulière de cette « petite Anatolie ». Les coûts de la pellicule super 8, son développement et sa numérisation étant élevés, Joseph n’a pas pu filmer plus que 30 minutes, dont 8 minutes en noir et blanc avec une caméra double 83. Cela fut assez pour avoir à la fin du tournage suffisamment d’images pour démarrer le montage. Mais il fallait d’abord développer et numériser la pellicule.

Après avoir procédé lui-même à son développement au Labobis, Joseph a donné la pellicule à notre partenaire Peliskan pour la numérisation. Pendant cette période de gestation des images, Florence a commencé à assembler des sons et à improviser au piano et au thérémine4, tout en écoutant ce qu’elle avait enregistré lors du tournage.

La post-production et l’installation à la Maison des Arts

Fin août, début septembre, Joseph et Florence ont monté les images et les sons chez eux, avant de passer une semaine intense aux studios du GSARA où ils ont fini le film dans des conditions optimales avec nos techniciens. Ainsi, le mixage a été fait par notre ingénieur du son Maxime Thomas, en étroite collaboration avec Florence, et l’étalonnage par notre cameraman et étalonneur Jean Minetto, aux côtés de Joseph.

Ensuite, il fallait traduire les paroles et les intertitres du film afin de pouvoir sous-titrer le film en anglais, tâche dont s’est chargé notre monteur Geoffroy Cernaix. Last but not least, il fallait réfléchir et mettre en œuvre l’installation dans l’expo « Dressing » à la Maison des Arts. On leur avait désigné un local au premier étage avec des bancs et un projecteur accroché au plafond. Après plusieurs tentatives insatisfaisantes, l’idée est apparue de projeter le film à l’intérieur de la grande armoire qui se trouve au fond de la pièce. Et cela donnait très bien ! Le 22 septembre eut lieu le vernissage où le film a été montré pour la première fois au public. McCloud, le « prince sans carnaval », fut parmi les spectateurs…

  1. Héros légendaire qui aurait vécu en Turquie au XIIIe siècle, Nasr Eddin Hodja est célèbre dans tout le monde musulman. Il passe pour l’incarnation du « fou sage », au comportement paradoxal et provocant. Dans le cadre du jumelage entre Beyoglu (Istanbul) et Schaerbeek, les autorités de la ville turque ont offert une statue le représentant sur son âne. ↩︎
  2. L’immigré américain McCloud Zicmuse est musicien, fait des performances artistiques et de la poterie. Il vit à Schaerbeek où il trouve de l’inspiration pour ses chansons. Élu « Prince Carnaval de Schaerbeek » en 2020, McCloud avait tout ce qu’il fallait pour mener le cortège, mais le carnaval fut annulé en raison de la pandémie. Depuis, il se présente comme « Prins Zonder Carnaval ». ↩︎
  3. Caméra double 8 : un film de 16mm de larges à doubles perforations exposé sur la moitié de sa largeur puis retourné pour exposer la seconde partie du film. Une fois le développement réalisé (à l’aide du même matériel utilisé avec les films 16mm), la bande est coupée en deux dans sa longueur, puis les deux parties de film sont collées bout à bout. ↩︎
  4. Le thérémine est un des plus anciens instruments de musique électronique, inventé en 1920 par le Russe Lev Sergueïevitch Termen (connu sous le nom de « Léon Thérémine »). Composé d’un boîtier électronique équipé de deux antennes, l’instrument a la particularité de produire de la musique sans être touché par l’instrumentiste. ↩︎

Stefanie Bodien

Responsable de l’Atelier de Production