Flashback
« Facebook te fiche, ne t’en fiche pas » : 15 ans plus tard, une campagne toujours d’actualité
En 2010, la campagne de sensibilisation du GSARA visait à alerter de trop nombreux internautes semblant ignorer les conséquences de leurs actions sur le réseau social de Mark Zuckerberg. Des constats, réflexions et analyses qui se révèlent toujours pertinents en 2025.
« Informer, conscientiser et responsabiliser les internautes sur les enjeux, la face cachée et les dérives de Facebook. » L’intitulé des enjeux de cette campagne se nourrissait de nombreuses observations récoltées sur le web alors que le réseau au grand ‘F’ (ouvert au grand public en 2006) n’avait pas encore rencontré d’énorme succès public et dépassé le milliard d’utilisateurs (2012).
Au-delà des aspects spécifiques des déviances de Facebook, la campagne pointait déjà les dysfonctionnements au sens large de ce type de plateforme, comme le rappelait cet extrait : « Faute d’une éducation adaptée, d’une législation appropriée et du manque de transparence des administrateurs sur les réels enjeux, les internautes se retrouvent trop souvent victimes de leurs propres choix et comportements sur les plateformes de réseaux sociaux. »
Depuis lors, le RGPD est né…
Alors depuis l’Union européenne a saisi les enjeux du numérique en édictant le RGPD (Règlement général sur la protection des données) développé pour limiter les abus liés à la collecte, l’utilisation et la circulation des datas. Cette législation pionnière, entrée en vigueur en 2018, consiste en une réglementation unique et harmonisée de la protection des données personnelles en Europe visant à renforcer les droits des citoyens européens sur leurs données personnelles (information, accès, effacement, etc.), mais aussi à responsabiliser les organisations qui traitent ces données en leur imposant des obligations de transparence, de sécurité et de conformité à la réglementation.
« Certes, mais l’on peut observer que dans la pratique et la mise en œuvre, les autorités ne parviennent pas toujours à appliquer le RGPD de manière infaillible, même si c’est une bonne base », tempère Bernard Fostier, coordinateur en Éducation permanente au GSARA lorsque la campagne a été lancée.
À cet égard et après 15 ans d’exécution du RGPD, la Commission européenne a présenté le 21 mai dernier un texte dit « omnibus » qui a pour objectif affiché de simplifier la vie des utilisateurs, mais qui réduira les obligations pesant sur les entreprises. Ce projet dont le processus ne fait que débuter arrive dans un contexte politique très tendu, eu égard au conflit ouvert entre l’Union européenne et les géants américains soutenus par l’administration Trump.
Parmi les pistes envisagées dans ce texte figure la possibilité de paramétrer ses choix directement dans le navigateur une seule fois alors qu’à l’heure actuelle, l’utilisateur doit configurer ses choix à chaque visite de site.
Avec cette mesure, l’Union européenne veut donc mettre fin à l’une de ses propres mesures de régulation, celle qui concerne le contrôle des cookies qui tracent toute notre vie en ligne et servent essentiellement à afficher de la publicité ciblée. Certains États, comme le Danemark, proposent de supprimer les bannières pour les cookies jugés « techniquement nécessaires » ou destinés à des statistiques simples1.
… mais un projet de réforme risque de l’affaiblir !
Les associations de défense des libertés numériques redoutent un glissement vers une légalisation implicite du tracking publicitaire. « Le fait de demander au navigateur part d’une bonne intention, mais il faut faire très attention aux détails »2, estime Bastien Le Querrec, juriste à La Quadrature du Net. L’association de défense des libertés dans l’environnement numérique estime notamment que les acteurs du numérique ont appliqué « une lecture détournée des textes qui leur permet de rendre volontairement pénible ce bandeau pour l’internaute et de nous faire accepter sans trop regarder donc ces fameux cookies. « Quand un site de presse impose un bandeau qui empêche la lecture de l’article, que le bouton ‘accepter’ est en gros et que le bouton ‘refuser’ est caché dans un coin, c’est un exemple très récurrent d’interfaces qui sont conçues pour extorquer le consentement de l’internaute»3.
La Commission souhaite aussi introduire une nouvelle exemption à la mise en place d’un registre des activités de traitement défini par l’article 30 du RGPD4. Face à cette proposition de la Commission européenne, les professionnels de la protection des données (les « DPO » ou Data Protection Officer en anglais) demandent son rejet pur et simple par le Parlement européen. Ils estiment que cela affaiblirait la traçabilité et ferait disparaître un outil méthodologique important.
Ces professionnels sont suivis par la fédération EDRi (European Digital Rights) qui réunit 107 organisations de la société civile, des universitaires, des entreprises, des syndicats et des experts qui travaillent dans le domaine de la protection des droits et libertés des personnes. Cette fédération a publié une lettre ouverte le 19 mai 2025 qui demande à la Commission européenne de « rejeter toute réouverture du RGPD et réaffirmer son intégrité en tant que fondement du droit numérique de l’UE ». Si elle concède qu’il faut assurer un soutien et une assistance accrus aux petites entreprises, EDRI demande de résister aux pressions qui « cherchent à sacrifier les droits des personnes au nom de la compétitivité ou des intérêts commerciaux ».
Le débat est donc loin d’être clos dans ce dossier qui va faire l’objet d’une guerre de lobbying intense entre les grandes entreprises de la tech et les défenseurs des données personnelles, deux des groupes de pressions les plus importants en matière d’affaires publiques auprès des instances européennes.

« L’IA a accéléré certaines dérives »
La campagne « Facebook te fiche » épinglait également d’autres thématiques telles que le cyberharcèlement ou encore une certaine forme de puritanisme, propre à la société nord-américaine, comportant des conséquences préjudiciables aux utilisateurs plus que jamais d’actualité. Globalement, sur le fond, lorsqu’on se focalise sur les sujets traités, il apparaît qu’ils sont loin d’être obsolètes en 2025, bien au contraire.
« Mais deux marqueurs d’aggravation sont à y ajouter : le développement des modèles d’algorithmes, qui ne sont pas neutres, et dont on n’avait peut-être sous-estimé l’importance, ce qui constituait un angle mort de la campagne. Mais surtout l’essor récent de l’Intelligence Artificielle qui a fondamentalement modifié l’écosystème des pratiques sur le net et accéléré certaines dérives », souligne Bernard Fostier, qui avait collaboré à « Facebook te fiche, ne t’en fiche pas » à l’époque.
La face cachée de FB renferme aussi ce débat redondant depuis 15 ans sur la menace que le réseau social fait peser sur la liberté de pensée et développe une forme de censure déguisée. En 2010, les recherches menées par Julie Van Der Kar, ancienne coordinatrice des campagnes de sensibilisation du GSARA (2010-2019), faisaient état d’un problème sournois et plus que jamais encore dangereux de nos jours…
« Sur Facebook, notamment, la liberté de pensée est en danger. Ce point-ci est plus occulté, plus sournois, plus dangereux encore pour la démocratie. D’après de nombreux témoignages, de plus en plus d’utilisateurs se font suspendre leur compte voire radier des réseaux sociaux qui se réservent le droit de manière subjective et arbitraire de retirer ou non des posts ou de profils. Nous serions donc en droit de débattre de l’existence d’une menace de censure déguisée. La censure de propos contestataires et d’œuvres subversives se fait sur base de dénonciations, ou sur le contrôle de modérateurs (de manière arbitraire). »
En une quinzaine d’années, Facebook est devenu un acteur central de la sphère publique mondiale, mais ses pratiques de collecte massive de données et ses premiers scandales (exemple : Cambridge Analytica) ont révélé les risques pour la vie privée et la manipulation de l’opinion.
La plateforme a été copieusement critiquée pour son rôle dans la diffusion de désinformation, l’ingérence électorale et le renforcement des bulles de filtres, tout en accentuant le profilage publicitaire. Malgré de nouvelles régulations (RGPD, lois sur les services numériques) et des efforts accrus de transparence, Facebook – devenu Meta – reste au cœur des débats sur ses dérives démocratiques, la surveillance commerciale et sa responsabilité dans l’espace public numérique.
Pour preuve, l’an dernier, le GSARA avait consacré sa campagne de sensibilisation, intitulée « Avec modération », sur l’univers de la modération et de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux, ainsi que des discriminations algorithmiques.
- https://www.politico.eu/article/donnees-personnelles-leurope-va-assouplir-sa-reglementation-dans-les-semaines-a-venir/ ↩︎
- https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/net-plus-ultra/net-plus-ultra-du-vendredi-26-septembre-2025-5467557 ↩︎
- https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/net-plus-ultra/net-plus-ultra-du-vendredi-26-septembre-2025-5467557 ↩︎
- Cela concerne 38 000 entreprises baptisées “small mid-caps (SMCs)” qui ont moins de 750 employés et réalisent un chiffre d’affaires inférieur à 150 millions d’euros. Aujourd’hui, seules les entreprises de moins de 250 salariés peuvent, sous conditions, en être dispensées. ↩︎
GSARA asbl
Rédaction collective