La revue trimestrielle du Gsara


Focus

La couverture médiatique de la migration en Belgique

Noe BoeverOptiques n°8 – été 2025

On pourrait écrire une thèse entière en plusieurs tomes sur la question du traitement médiatique de la migration, tant les angles et variables sont nombreux.

Qu’est-ce qu’on entend par média ? De quelle forme de migration parle-t-on ? Comment ce traitement s’est-il transformé avec le temps et l’évolution de l’actualité géopolitique ? Quelles différences entre le traitement du sujet en Belgique francophone et néerlandophone ? Nous allons tenter ici de mettre en lumière la façon dont les médias dits « traditionnels » belges francophones évoquent la migration, à notre époque.

Manque d’expertise et de compréhension de la thématique

En préambule, il est important de reconnaître que les journalistes généralistes de presse quotidienne font un métier compliqué. Tous les jours, ils et elles doivent parler de sujets d’actualité aussi variés que complexes, qu’ils et elles doivent traiter sans forcément en avoir l’expertise nécessaire, faute de temps. Ces journalistes sont donc amené·es à forger l’opinion publique à propos de sujets qu’ils et elles maîtrisent relativement peu. Difficile de les blâmer, ce sont les aléas des conditions dans lesquelles ils et elles travaillent, mais cela peut malheureusement avoir des conséquences, parfois importantes, sur la manière dont le public reçoit un sujet d’actualité et se construit une opinion sur celui-ci. Le domaine de la migration est l’un de ces sujets d’actualité.

La thématique de la migration est par ailleurs extrêmement complexe et technique. Le jargon et les procédures sont tels que les professionnel·les aguerri·es, comme les avocat·es spécialisé·es se plaignent régulièrement de l’illisibilité du cadre réglementaire. Il existe de multiples voies de migration, différents profils de migrant·es et différents statuts administratifs correspondant à chacune des procédures de séjour. À chaque statut correspondent des droits et obligations différents en termes d’accès au séjour, de droit au travail ou à la vie de famille. Une personne qui obtient le statut de réfugiée suite à l’introduction d’une demande d’asile fuit des persécutions, sur base d’un des motifs prévus dans la convention de Genève de 1951. Une personne qui demande une régularisation de séjour est dans une tout autre situation. Elle a parfois sollicité l’asile, mais s’en est vue déboutée. Dans d’autres cas, elle se trouvait sous un autre statut (étudiant·e ou travailleur·euse étranger·ère), mais des aléas dans sa procédure l’ont conduite à ne pas obtenir le renouvellement de son titre de séjour. Entre ces deux situations, personne reconnue réfugiée et personne en demande de régularisation de séjour, tout diffère. Le seul point commun est qu’elles ont toutes deux quitté leur pays d’origine et sollicité un statut à la Belgique. Mais les procédures qui les concernent, les droits au séjour, à la formation, au travail, à l’aide sociale, au regroupement familial sont en tous points différents.

Dans ce contexte, la méconnaissance des journalistes en matière de migration, bien que compréhensible, a un impact malheureux sur l’opinion publique. Il est commun de voir des journalistes confondre différents concepts qui, certes, se ressemblent, mais qui doivent être manipulés avec précaution pour permettre au grand public d’en comprendre les nuances. Entendre parler, dans un journal télévisé de RTL TVI, de «  demandeurs d’asile en attente de régularisation »1 montre bien qu’il y a un problème jusque dans la compréhension des concepts par les journalistes en charge d’informer nos concitoyen·nes.

Migrant·e ou expat ?

Il est intéressant de s’attarder un instant sur le fait que le champ lexical utilisé pour parler de la migration diffère souvent en fonction du lieu de départ de la personne qui migre. En théorie, un homme blanc, belge, qui décide de quitter son pays pour aller « refaire sa vie ailleurs », en y travaillant ou pas, fait acte de migration au même titre qu’un homme sénégalais qui déciderait de venir vivre en Belgique. Les deux cas sont évidemment différents, notamment sur les questions d’urgence et de nécessité, mais dans l’essence, deux personnes qui vont rechercher un meilleur cadre de vie ou des opportunités professionnelles ailleurs, verront leur démarche s’inscrire dans deux catégories connotées très différemment. Les expatrié·es ont le privilège de voir leur démarche légitimée, on leur reconnaît sans encombre le droit d’entreprendre sans être déshumanisé·es.2 Les autres seront considéré·es comme migrant·es, terme qui, on le verra plus tard, est entaché d’une connotation négative et déshumanisante.

Autre exemple assez frappant : sur la page d’accueil du site du Courrier International (site français, mais qui illustre une dynamique plus large), on retrouve un onglet « Courrier expat », reprenant des articles qui auraient toute leur place dans un onglet « migration », s’il n’était pas intitulé « Aucun impôt et salaires XXL : l’Arabie saoudite séduit les expats britanniques »3, mais « Paix et sécurité : l’Europe séduit les migrants syriens » (titre fictif).

Entre l’expatriation et la migration, la frontière est fine en théorie, mais en pratique, un océan les sépare.

Déshumanisation et climat de peur

Les différents médias belges ne parlent pas tous de la migration de la même manière. Chaque ligne éditoriale varie sensiblement, mais il est intéressant de souligner qu’un certain champ lexical et type de vocabulaire est assez largement utilisé et a une influence néfaste sur l’opinion publique.

Il est évident que les termes choisis pour évoquer une thématique aussi sensible que la migration sont rarement neutres et évoquent chez le public des idées reçues, des images, des ressentis. Or, il est aujourd’hui complètement acquis, dans la sphère médiatique, que l’arrivée d’un public extra-national vers la Belgique/l’Europe correspond à l’expression de flux migratoire4, voire de vague migratoire5 6. Ces termes ne sont ni neutres ni anodins. Sans vouloir accuser tous les médias de véhiculer volontairement un message de peur, on peut pointer que le vocabulaire utilisé est déshumanisant : les arrivées sur le territoire belge/européen sont des arrivées d’êtres humains, une humanité qui se perd dans l’évocation d’un flux indistinct.

D’autre part, l’imagerie de la vague ou du flux n’est pas neutre, en ce qu’elle porte une métaphore d’envahissement, d’un mouvement que l’on ne peut arrêter, qui avale tout sur son passage et qui reviendra, encore et encore.

Outre leur aspect déshumanisant, les termes de vague ou de flux véhiculent aussi une connotation de masse indistincte et menaçante et, même s’il n’y a pas de volonté directe d’effrayer le lectorat/audimat, ce champ lexical ne peut qu’affecter l’imaginaire collectif. Il en va assurément de même avec le terme de crise migratoire, utilisé dans tout type de média traditionnel et qui reflète aussi cette même connotation anxiogène.7 Associer crise et migratoire pointe la migration comme étant le problème, alors qu’elle est une conséquence et non une cause. Les raisons de la crise sont les conditions de vie des personnes amenées à migrer, pas la migration en tant que telle. Parler de crise migratoire, c’est donc se tromper de problème. Une crise étant par essence urgente et ponctuelle, cela permet aussi aux autorités de prendre des mesures exceptionnelles et court-termistes, néfastes aux personnes migrantes. Nous vivons en effet une crise, mais elle est politique et humanitaire.8

Et on fait quoi ?

Nul ne peut ignorer que la migration, comme les personnes exilées, migrantes et « expat », déchaînent les passions dans un contexte où les acteurs politiques utilisent largement les enjeux migratoires à des fins électoralistes. Être répressif à l’égard des migrant·es – tout en étant accueillant vis-à-vis des expats – a parfois construit des carrières politiques, en Belgique comme à l’étranger. En cette période de montée des partis d’extrêmes droite ou nationalistes, leurs idées sont véhiculées allègrement à charge des personnes migrantes.

La plupart des médias de qualité en sont conscients, mais omettent encore trop souvent d’appliquer des principes fondamentaux pour éviter tout amalgame ou toute utilisation électoraliste de faits médiatisés.

On peut pointer la responsabilité des médias dans la manière dont le monde parle de la migration, mais il faut aussi interroger la responsabilité du monde associatif et sa marge de manœuvre dans le futur.

À nous de créer des outils à destination des médias pour leur apprendre à parler de migration sans confusion dans les termes, parfois complexes. À nous de proposer/imposer un champ lexical nouveau et respectueux des personnes. Un exemple est frappant, sur la manière dont des mouvements militants influencent les médias et, par ruissellement, l’opinion publique. Ces dernières années, les mouvements féministes ont réussi à imposer dans le vocabulaire médiatique le terme de féminicide, en martelant à juste titre que les termes utilisés pour évoquer le sujet n’étaient pas appropriés, étaient déshumanisants et dépolitisaient ces actes criminels en les renvoyant au rang d’actes passionnels. Aujourd’hui, même si la lutte contre les féminicides n’a pas été résolue par un simple changement de vocabulaire, tous les grands médias utilisent désormais ce vocable. En obligeant les médias et les politiques à utiliser le terme de féminicide, les militantes féministes ont aussi changé la manière dont on traite le fond du sujet, mené à ce qu’il soit plus politisé et traité à sa juste valeur.

Conclusion

Il est donc de notre mission à nous, secteur associatif et militant·es pour une politique migratoire plus juste et plus humaine, de s’approprier le narratif autour de la migration. Et cela commence avec un champ lexical nouveau, que nous devons réinventer et imposer à la place du champ sémantique qui domine actuellement et qui influence le débat public sous couvert de neutralité.

Force est de constater que les médias ne changeront pas leur manière de parler d’un sujet si on ne les y pousse pas. La manière dont on parle des choses permet de bouger des lignes, à nous de faire bouger les nôtres.

  1. RTL-TVI : https://www.rtl.be/page-videos/belgique/societe/le-centre-fedasil-de-liege-accueille-des-demandeurs-dasile-de-35-nationalites/2025-05-25/video/750988 ↩︎
  2. Les Echos : https://www.lecho.be/entreprises/alimentation-boisson/quand-un-belge-expatrie-aux-etats-unis-veut-conquerir-le-marche-des-micro-boulangeries-artisanales/10609685.html ↩︎
  3. Courrier international : https://www.courrierinternational.com/article/vu-du-royaume-uni-aucun-impot-et-salaires-xxl-l-arabie-saoudite-seduit-les-expats-britanniques_231330 ↩︎
  4. RTBF : https://www.rtbf.be/article/l-europe-est-elle-capable-de-gerer-les-flux-migratoires-9958687 ↩︎
  5. RTL : https://www.rtl.be/actu/de-la-vague-migratoire-de-2015-aux-papiers-de-refugies-itineraire-dune-famille/2020-12-17/article/358392 ↩︎
  6. L’Echo : https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/general/la-vague-migratoire-coute-d-abord-a-la-securite-sociale-et-rapporte-ensuite/9975361.html ↩︎
  7. RTBF : https://www.rtbf.be/article/commandant-solane-un-thriller-politique-sur-la-crise-migratoire-en-mediterranee-11525984 ↩︎
  8. Université de Montréal : https://nouvelles.umontreal.ca/article/2022/04/26/arretons-de-parler-de-crise-des-refugies/ ↩︎

Noe Boever

Chargé de communication – CIRE asbl