La revue trimestrielle du Gsara


Exposé

L’automatisation du statut BIM : un exemple de numérisation vertueuse ?

Collectif PUNCHOptiques n°1 – automne 2023

Dans le cadre du cycle « Pour un numérique humain et critique », le collectif PUNCH proposait le 2 juin 2023 une nouvelle journée d’auto-formation pour continuer à comprendre et décortiquer comment le numérique modifie nos vies.

Cette fois, entre autres études de cas pratiques, échanges d’expériences et partages de combats militants, nous avions demandé à deux représentants de Solidaris (la mutualité socialiste), Jérôme Vrancken et Jean-Paul Dembiermont, de venir présenter l’automatisation de l’octroi du statut BIM – acronyme de Bénéficiaire d’Intervention Majorée, ex-statut VIPO. Petit résumé de leur exposé.

Solidaris compte trois millions deux cent mille affilié·es : 42 % en Wallonie, 45% en Flandre et 13 % à Bruxelles. Son rôle le plus connu : rembourser les soins de santé et verser un salaire de remplacement aux malades de longue durée. Mais aussi, avec le pôle « Études et politique de santé », travailler à mieux connaître le secteur de la santé au sens large, participer à un ensemble d’instances où se négocient les accords tarifaires et assurer un travail de plaidoyer, pour amener les recommandations dans les bons cénacles, cabinets ministériels, etc.

L’enjeu des « datas »

Le matériau n°1 pour remplir ces missions, ce sont évidemment les données. Données administratives, d’abord, attachées aux personnes et qui permettent à Solidaris de servir ses affiliés : sexe, âge, téléphone, courriel, type de contrat, etc. Ces données conduisent Solidaris, en les croisant, à dresser des profils sociaux à partir d’informations telles que la composition familiale, le type de profession exercée, etc.

L’autre gros volume de données, c’est les informations nécessaires à la facturation de soins qui arrivent par le médecin de famille, les hôpitaux, les kinés, mais aussi les médicaments délivrés en pharmacie, les certificats médicaux : soit un bon million deux cent mille lignes qui entrent tous les jours dans les bases de données – chaque prestation se détaillant en une centaine de variables. D’où l’intérêt évident de numériser tout ça.

Jérôme Vrancken et Jean-Paul Dembiermont : « On a l’habitude de comparer la gestion de cette masse de données avec celle d’un barrage hydroélectrique : le potentiel est énorme, mais il importe de le canaliser Ce sont des données très sensibles, des données de santé qui peuvent être très ravageuses si elles sont libérées dans la vallée, en conséquence de quoi un grand nombre de garde-fous sont imposés pour que ce potentiel ne se révèle pas dévastateur mais utile. »

Les données sont collectées pour assurer les missions légales mais la loi autorise également leur exploitation de manière secondaire – dans le strict respect du RGPD1 – pour nourrir un ensemble d’études qui ont pour objectif d’améliorer l’efficience du système de soin de santé. Ces études sont également nourries par d’autres sources et canaux de données (enquêtes, sondages), qui occupent un pôle d’une vingtaine de personnes chez Solidaris.

Chez Solidaris, c’est le service « Assurabilité Population » qui gère le premier point d’entrée des affiliés à la mutualité. Une des principales fonctionnalités de ce service est précisément l’octroi du statut BIM (Bénéficiaire d’Intervention Majorée), qui donne droit à des remboursements plus importants pour les soins de santé tels que les médicaments, les consultations médicales et les hospitalisations. Ce statut ouvre également la porte à d’autres avantages et soins de santé, comme la possibilité de réduire le plafond MAF (Maximum à Facturer), ce qui signifie que les frais médicaux sont remboursés intégralement plus rapidement.

Sollicitations pour des réductions

On remarque que le statut BIM est souvent demandé pour les avantages sociaux et les droits dérivés qui en découlent, plutôt que pour les remboursements médicaux supplémentaires. De nombreuses institutions savent que les mutualités détiennent des informations sur les faibles revenus des bénéficiaires de ce statut, ce qui leur permet d’octroyer d’autres avantages.

Par exemple, le tarif social énergie a été très demandé ces derniers mois, et de nombreuses personnes ont sollicité le statut BIM pour bénéficier de réductions sur leurs coûts énergétiques, tarifs télécoms, tarifs sociaux pour l’eau, les transports en commun, et d’autres avantages ponctuels tout au long de l’année. La SNCB, les fournisseurs d’énergie, et d’autres institutions peuvent consulter le Collège Inter-mutualiste National (CIN) pour vérifier le statut BIM d’une personne à partir de son numéro de registre national. Si la personne l’a, l’institution peut lui accorder automatiquement une réduction.

Un demi-million sur le carreau

Le nombre de personnes éligibles en Belgique au statut BIM est estimé à 2,6 millions, mais seulement 2,1 millions en bénéficient actuellement – un million parce qu’elles appartiennent à une catégorie reconnue (en gros, les ex-VIPO2), le reste sur base du (faible) montant de leurs revenus.

Les raisons de cette disparité entre le nombre de personnes éligibles et celles qui bénéficient effectivement du statut sont liées à la complexité des démarches, avec de nombreux documents requis, ce qui décourage certain·es. Les mutualités essaient de faciliter l’accès en transmettant des données à l’INAMI, qui les vérifie auprès du SPF Finances. Les mutuelles contactent ensuite les affiliés éligibles pour les inviter à remplir une déclaration sur l’honneur. Cependant, le taux de réponse est faible, avec seulement 11 000 réponses sur 150 000 courriers envoyés. Ce qui montre les limites de cette approche proactive.

Une enquête a révélé que la méconnaissance du statut, le manque d’impact des courriers papier, la complexité perçue et le découragement sont des obstacles pour beaucoup. Face à ce constat, l’automatisation serait sans doute la bonne solution pour octroyer automatiquement le statut BIM à un maximum de personnes éligibles.

Depuis plusieurs mois, les mutuelles sont en discussion avec l’INAMI pour envisager une extension du droit automatique. L’idée est de leur faciliter l’accès aux revenus, qu’elles puissent faire directement les calculs. Même principe pour les revenus cadastraux, à partir de la base de données Patrimoni. Sur base de ces critères, au lieu de contacter la personne pour lui demander de lancer des démarches, un courrier lui serait directement adressé pour lui dire : « félicitation, vous avez le BIM ! ».

Bruxelles Formation a réalisé une capsule d’information sur le statut BIM (Bénéficiaire de l’Intervention Majorée).

Les freins sont encore nombreux

Actuellement, l’automatisation est paradoxalement possible pour les données externes, mais pas pour celles détenues par les mutuelles et ce, en raison de contraintes liées à la déclaration sur l’honneur – qui ne s’appuient pas sur un accès direct aux bases de données mais sur des cases à cocher.

Les mutualités socialistes soutiennent ainsi l’octroi systématique du statut aux pensionnés, mais l’automatisation est encore difficile à défendre en raison de l’absence de données pour les pensions du troisième pilier – lesquelles, non prises en compte, créeraient des situations d’inégalité. Pareil pour les rentes alimentaires, non enregistrées.

Un autre défi est l’absence de centralisation des données, chaque organisme gérant ses propres bases. Les différentes régions belges gèrent des bases de données différentes, compliquant encore la situation. Les mutualités souhaitent une source centralisée et des données plus détaillées pour automatiser le traitement. L’enveloppe budgétaire pour le statut BIM est calculée sur le nombre de personnes susceptibles de le demander.

Les différentes mutualités, quelle que soit leur tendance politique, travaillent ensemble au sein de l’INAMI pour promouvoir l’octroi automatique du BIM

Comme on sait qu’un grand nombre ne vont pas le faire, on anticipe des économies dès le départ. Or, avec la généralisation de l’automatisation, il y a aussi la probabilité de voir diminuer le non recours et donc d’avoir à octroyer plus de BIM. C’est cette balance entre le coût de l’automatisation et son efficacité sociale qui est – aussi – au cœur de la réflexion politique aujourd’hui. Les différentes mutualités, quelle que soit leur tendance politique, travaillent ensemble au sein de l’INAMI pour promouvoir l’octroi automatique du BIM. Avec la proximité des élections et un ministre Vooruit3 en charge de ce dossier, on peut raisonnablement espérer une ouverture dans ce sens.

En guise de conclusion provisoire, si le collectif PUNCH est souvent amené à proposer une approche (très) critique des impacts que la numérisation tous azimuts peut avoir sur celles et ceux qui la subissent, il arrive, comme le défendent les représentants de Solidaris, que la rationalisation puisse être mise au service d’un outil de justice sociale, en permettant de mieux identifier les exclu·es du système tout en simplifiant l’administration comme la vie des administré·es. La question demeurant : quels choix politiques pour l’avenir ? Et (sans doute) avec quels interlocuteurs ?

Jérôme Vrancken et Jean-Paul Dembiermont : « Tout n’est pas encore digitalisé et tout ne le sera pas – en tout cas pas tout de suite – mais ce suivi est important pour appréhender de manière longitudinale le parcours de leur vie ou tout au moins une grande partie. Habituellement, on reste à la même mutuelle de la naissance jusqu’à la mort. »

  1. Le règlement général de protection des données (RGPD) est un texte réglementaire européen qui encadre le traitement des données de manière égalitaire sur tout le territoire de l’Union Européenne. ↩︎
  2. Le statut VIPO, pour Veuf Invalide Pensionné Orphelin, a été étendu à d’autres personnes bénéficiant d’un revenu social, par exemple du revenu d’intégration social, de la GRAPA, de l’aide aux personnes âgées, ↩︎
  3. Frank Vandenbroucke, ex-sp.a, Socialistische Partij Anders – parti socialiste flamand. ↩︎

Collectif PUNCH

Collectif composé de plusieurs acteurs associatifs et culturels. Pour Un Numérique Critique et Humain.