La revue trimestrielle du Gsara


Édito

Les technologies changent mais les enjeux de société perdurent

Renaud BellenOptiques n°1 – automne 2023

En 1976, une petite association sans but lucratif est née de l’esprit de trois mandataires publics. Son nom ? Le GSARA, créé suite à l’émergence d’une évolution technologique majeure : la vidéo.

Avant cela, des moyens humains, techniques et financiers considérables étaient indispensables pour tourner, monter et diffuser un film. Au début des années 80, la vidéo a considérablement élargi les champs de la production audiovisuelle : elle en a démocratisé l’accès en diminuant son prix d’achat, en réduisant les moyens humains nécessaires à sa fabrication et en facilitant son processus de confection.

Permettre au grand public, au citoyen de comprendre, de s’approprier et de s’exprimer à travers ces nouveaux outils devenait un enjeu politique et social et la nécessité d’avoir une structure qui y réponde est vite devenue une évidence aux yeux de nos fondateurs. 47 ans plus tard, le GSARA est toujours présent et actif. Il s’est même considérablement développé en générant de nombreuses entités locales en Wallonie et à Bruxelles et en intégrant dans son champ d’activités l’insertion socio-professionnelle et la production de films documentaires tout en s’adaptant sans cesse à l’évolution technique.

C’est ici que le parallèle entre 1976 et 2023 s’arrête

La vidéo était une évolution technique dans un secteur encore dominé par un mode de production analogique et dont les effets n’étaient pas systémiques. Depuis le début des années 2000, un nouveau dispositif de production audiovisuelle intégralement numérique et qui fusionne l’informatique, l’audiovisuel et les télécommunications est en cours de déploiement. Et l’ensemble de la chaîne s’en est trouvée renversée.

La numérisation a d’abord intégré l’audiovisuel par les techniques de la synthèse qui ont permis – il y a environ 15 ans – une rapide évolution des effets spéciaux. Mais aujourd’hui, ce sont la captation, l’enregistrement, le montage, la post-production et la diffusion qui sont devenus numériques. Cet alignement de l’ensemble du dispositif constitue, d’une part, une mutation profonde d’une technologie apparue après la 2ème guerre mondiale et engendre, d’autre part, des bouleversements sociétaux gigantesques qui font basculer notre époque dans la société de l’information et du numérique.

Le GSARA entend animer ces questions de réflexion et d’analyse avec et sur les médias.

Vous en doutez ? Lisez le rapport de l’institut Reuters de juin dernier : la majorité des utilisateurs des platesformes Tik Tok, Snapchat et Instagram accorde son attention aux célébrités et aux influenceurs en matière d’information1. L’âge moyen d’un téléspectateur d’un JT oscille désormais entre 57 à 65 ans. Idem en radio où l’âge moyen d’un auditeur était de +ou- 48 ans en 2003 et s’établit désormais à 55 ans. Les médias audiovisuels courent désormais après le jeune public en tentant d’adapter leur contenu, reconnaissant ainsi la segmentation accrue des publics et – partant – le besoin urgent d’une éducation aux médias adaptée à chacun.

Vous hésitez encore ? Interrogez les traducteurs de la Commission européenne dont les effectifs sont passés de 2.421 à 2009 personnes entre 2014 et 2023, soit une baisse de plus de 17 % en 9 ans avec l’émergence de l’intelligence artificielle2. Ou les employés d’Onclusive – société spécialisée dans la veille médiatique – qui va supprimer 217 emplois sur les 447 actuels pour les mêmes raisons. Allez aussi jeter un coup d’œil sur cette récente campagne d’Amnesty International Norvège qui avait illustré les violences policières en Colombie à l’aide d’une AI et qui a été retirée depuis : comment dénoncer sérieusement des faits avec des images fictives et déconnectées de ces mêmes faits et de la moindre réalité objective ?3

Ces exemples – loin d’être exhaustifs – démontrent la pertinence d’un espace de création, d’analyse et de réflexion avec et sur les médias. Le GSARA entend participer et animer ces questions avec cette nouvelle mouture de notre revue trimestrielle, désormais baptisée « Optiques ».

Car le numérique n’est pas un ennemi :
« Optiques » – avec un s – veillera aussi à dépasser certains simplismes et manichéismes

Notre revue se penchera sur les nouveaux enjeux qui se posent dans notre société contemporaine, fidèle aux fondamentaux et à l’objet social du GSARA depuis sa création : la technologie et les médias changent mais les questions, les problématiques, les défis mais aussi les opportunités se multiplient. Car le numérique n’est pas un ennemi : « Optiques » – avec un s – veillera aussi à dépasser certains simplismes et manichéismes que l’on rencontre parfois dans certains débats où le monde réel – drapé de toutes les vertus – s’opposerait forcément au monde virtuel analysé comme un recul ou une régression. Parce que la discussion implique la confrontation d’une pluralité de points de vue mais aussi de la nuance, surtout à une époque où la polarisation des idées s’est tellement banalisée dans les échanges.

Il y a des initiatives positives qui doivent être soulignées. Les pouvoirs publics ont pris conscience de la nécessité de réguler le secteur du numérique avec l’entrée en vigueur en Europe, du Digital Services Act (DSA). Depuis le 25 août, les 19 plus grands réseaux sociaux et autres moteurs de recherche Internet 4 doivent mieux réguler leurs contenus. Quant à celles plus petites, elles se conformeront aux mêmes règles à partir de février 2024. Mais ces dernières seront non pas surveillées par les instances européennes mais par les autorités nationales compétentes. C’était un premier pas indispensable pour faire en sorte que ce qui est interdit dans le monde réel le soit aussi dans le monde virtuel et que la société de la désinformation et de la méconnaissance devienne enfin la société de l’information tant vantée.

Nous vous souhaitons beaucoup de plaisir à la lecture d’« Optiques ».

Renaud Bellen,

Directeur du GSARA asbl

1 https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/digital-news-report/2023

2 https://www.politico.eu/article/translators-translation-european-union-eu-autmation-machine-learning-ai-artificial-intelligence-translators-jobs/

3 « Le photojournalisme face aux chimères de l’IA », Le Monde du 21 septembre 2023, p. 22.

4 dont notamment Amazon Store, AppStore, Booking.com, Facebook, Google, Instagram, LinkedIn, Pinterest, TikTok, Wikipedia, X – anciennement Twitter –, YouTube

  1. https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/digital-news-report/2023 ↩︎
  2. https://www.politico.eu/article/translators-translation-european-union-eu-autmation-machine-learning-ai-artificial-intelligence-translators-jobs/ ↩︎
  3. « Le photojournalisme face aux chimères de l’IA », Le Monde du 21 septembre 2023, p. 22. ↩︎
  4. dont notamment Amazon Store, AppStore, Booking.com, Facebook, Google, Instagram, LinkedIn, Pinterest, TikTok, Wikipedia, X – anciennement Twitter –, YouTube ↩︎

Renaud Bellen

Directeur du GSARA asbl