Rencontre
« Résidence point de vue – point d’écoute », clap 4ème !
Focus sur ce projet original porté par l’Atelier de production du GSARA.
Créé en 1991 et reconnu par la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’Atelier de production du GSARA a pour vocation de soutenir la production et la promotion d’un cinéma documentaire de création qui sensibilise aux réalités du monde contemporain, qu’elles soient politiques, sociales ou culturelles, et dont l’originalité, l’expérimentation et l’authenticité traduisent la rencontre singulière entre le réel et le regard d’un cinéaste. Une fois par an, une résidence pour deux artistes est organisée, l’un.e travaillant le son, l’autre l’image en pellicule (super8 ou 16mm). Par le biais de cette résidence, le GSARA souhaite encourager une écriture audiovisuelle innovante qui accorde au sonore une importance égale au visuel. En même temps, grâce à l’utilisation de la pellicule, une approche expérimentale au niveau de l’image est stimulée. La quatrième édition de la « Résidence point de vue – point d’écoute » vient de commencer pour les deux artistes sélectionnées cette année.
Nous avons interviewé Stefanie Bodien1, secrétaire de l’Atelier de production, pour l’occasion.
Quel est ton processus pour sélectionner le thème de la résidence ?
Tout d’abord, le thème doit avoir un lien avec un quartier ou un lieu particulier de Bruxelles. Les trois films qui ont déjà été réalisés dans le cadre de la « Résidence point de vue – point d’écoute » ont été tournés successivement dans les Marolles, dans le quartier turc de Schaerbeek et au Marais Wiels à Forest. Mais au-delà de la question du lieu, il est important que le thème soit porteur de sens tout en étant suffisamment ouvert pour stimuler une réflexion personnelle et une pratique artistique poussée. Cela faisait longtemps que j’avais pensé à Matongé et aux traces de la colonisation belge qui s’y trouvent. C’est un sujet qui m’intéresse : que persiste-t-il de la période coloniale dans les rues de la ville ? De quelle manière doit-on en tenir compte lorsqu’on veut parler de décolonisation ? C’est un sujet qui ne cesse d’être d’actualité. Je me demandais aussi comment ces traces sont perçues par les habitant.e.s de Matongé où on en trouve en grand nombre. Assata Fofana-Zaccanti et Lázara Rosell Albear, les artistes de la résidence de cette année, comptent d’ailleurs organiser un atelier avec des personnes qui y habitent dans l’idée de développer ensemble avec elles des scènes à propos de ces questions-là.
Pourquoi avoir choisi ce thème-ci cette année ?
Ce sont un peu les circonstances de la vie. Comme je cherche chaque année un partenaire culturel, le thème découle aussi en partie des propositions qui viennent de sa part. La première résidence était en partenariat avec le Musée Art et Marges qui, en 2022, organisait une exposition de l’œuvre d’Ariane Bergrichter qui est au centre du film « Sur le fil d’Ariane » (donc le film de la première « Résidence point de vue – point d’écoute »), la deuxième avec la Maison des Arts à Schaerbeek qui préparait à l’époque une exposition sur le thème du vêtement, ce qui m’a donné l’idée de proposer une résidence qui partirait d’un salon-lavoir (« Washing Machine » est le film qui y a été réalisé), et l’année dernière, c’est au BRASS qu’allait avoir lieu une exposition sur le Marais Wiels dont le contexte se prêtait bien pour y projeter, en première, « l’eau était là », un film sur le… Marais Wiels ! Cette année, c’est le festival de cinéma En ville ! qui est partenaire de la résidence. Sa directrice, Pauline David, était tout de suite intéressée par cette idée de faire quelque chose autour des traces de la colonisation belge à Matongé. Avec l’aide de quelques personnes (dont Pauline), j’ai par la suite pu préciser cette idée et formuler l’appel à projets qui est sorti fin mars. C’était très précieux d’être à plusieurs pour réfléchir à cette thématique complexe et à la manière dont la résidence pouvait s’en emparer.
Que souhaites-tu faire ressortir comme émotion, comme points forts ou revendications avec l’édition de cette année ?
Je n’ai pas d’attentes particulières. Ce sont les deux artistes sélectionnées (Assata et Lázara) qui proposeront des images et des sons à partir de leurs idées et de leurs expériences, mais qui émergeront aussi lors de leurs démarches artistiques sur place et dans leur atelier (Lázara a un magnifique atelier dans les Ateliers Mommen où elle peint, danse, fait de la musique…). J’espère bien sûr que quelque chose de fort en ressortira, mais je ne crois pas qu’il s’agira d’une revendication particulière. L’émotion découle de la rencontre d’un contenu particulier avec une forme particulière. Cela peut quelquefois être juste une couleur, le sourire inattendu d’une personne filmée, un son qui provoque un souvenir, ou que sais-je. Si le film est bon, et je suis sûre qu’il le sera, le public ressentira quelque chose, sans que ce soit nécessairement les mêmes émotions pour tout le monde. L’aspect politique en ressortira, lui aussi, d’une manière qui est impossible à prévoir à ce stade-ci. Mais vu les artistes choisies et la thématique, il ne manquera pas, c’est sûr et certain. Il suffit de lire ce court extrait de leur dossier de candidature : « La colonisation est encore présente dans le réel. Nous pouvons invoquer sa fin poétiquement avec les outils qui sont les nôtres. Ainsi, nous traquerons les marques visibles et invisibles de la colonisation pour les mettre en écho avec les portraits des personnes habitant le quartier. »

Comment se passe la sélection des artistes souhaitant participer à la résidence ? Quels sont les critères importants ?
Avec le petit comité de lecture composé par mes soins, nous discutons de chaque projet longuement. Nous examinons les propositions artistiques, mais aussi l’expérience des candidat.e.s. En effet, quand ils ou elles ne se sont jamais aventuré.e.s sur le terrain du cinéma expérimental, nous hésitons un peu, car la durée de la résidence (8 mois du début à la fin) ne permet pas vraiment de former des gens ou de les accompagner de manière intense. Le duo d’artistes retenu cette année se constitue donc d’Assata, une artiste visuelle qui a déjà réalisé plusieurs films en pellicule (une technique qui donne un aspect artisanal aux images et qui ouvre un champ d’expérimentation infini) et de Lázara, qui a un CV impressionnant avec énormément d’expérience dans différentes disciplines artistiques, dont la musique et le travail sonore au sens large. Mais leur expérience n’est évidemment pas le seul critère. Leur dossier foisonnant et réfléchi à la fois, avec des considérations théoriques très intéressantes et des idées concrètes de réalisation, nous a convaincues entièrement. Il donnait envie de voir le résultat !
Combien de temps dure une session de résidence et comment est-elle structurée ?
La résidence dure environ 8 mois, repérages, tournage, montage et post-production inclus. C’est peu de temps pour un film de 10 à 15 minutes, et ça passe toujours trop vite ! D’autant plus que les artistes ont d’autres engagements aussi et que c’est seulement par période qu’ils travaillent de manière intense sur le projet. Normalement, la résidence commence au mois de juin : les artistes vont alors sur le terrain, filment et enregistrent des sons. Petit à petit, et selon ce qui se passe pendant ces semaines de confrontation au réel, la dramaturgie du film s’affine. Il y a toujours un va-et-vient entre les idées initiales, l’écriture et la réalité. Environ une fois par mois, je rencontre les artistes afin de pouvoir suivre l’évolution du projet de près. Après le tournage, il faut encore développer et digitaliser les rushes. C’est alors seulement – souvent au courant du mois de septembre – que le montage peut commencer. Jusqu’ici, la collaboration entre les deux artistes était déjà présente bien sûr, mais pas forcément de manière constante : chacun.e a pu développer des idées pour son médium respectif, indépendamment de l’autre. Au stade du montage, par contre, cette collaboration s’intensifie, car il s’agit de se faire rencontrer (ou pas !) le point de vue et le point d’écoute. L’asynchrone donne ici le ton. C’est un des buts de cette résidence : un jeu subtil et complexe entre l’image et le son qui fait éclore un sens poétique et singulier, susceptible d’exprimer des idées et des émotions de manière inouïe. S’ensuit la période de mixage et d’étalonnage à partir du mois de décembre, étapes de post-production qui se font dans les studios du GSARA.
Quels types de ressources matérielles et techniques sont mises à disposition des artistes (studios, équipements, logiciels, etc.) ?
Si nécessaire, les artistes peuvent bénéficier de nos studios pour faire du montage image et son. Nous mettons, à ce stade-ci, l’équipement à disposition, mais pas encore l’expertise. Celle-ci intervient après, quand il s’agira de mixer et d’étalonner le projet : pour cette phase finale, nos techniciens assistent et conseillent les artistes, mais ils font aussi des propositions. C’est une véritable collaboration. Ces étapes de la post-production ne peuvent pas se faire en dehors d’un bon studio et sans une bonne connaissance des logiciels. Avec l’avènement des petits caméscopes et les programmes de montage gratuits, tout un chacun peut s’essayer à monter l’image et le son à la maison. Mais le mixage et l’étalonnage, c’est autre chose. Je suis heureuse qu’on puisse compter sur nos excellents techniciens qui contribuent à la finition du film. Au GSARA, nous assurons également le graphisme du générique, le sous-titrage et les sorties des masters. Et il ne faut pas oublier de mentionner la diffusion du film ! Sans elle, tout le reste ne fait pas sens. Il faut qu’un film soit vu (et entendu!), sinon à quoi bon tous ces efforts ? Mais paradoxalement, c’est bien souvent la partie la plus compliquée à mettre en œuvre, car le nombre de films produits chaque année ne fait que croître et le nombre de lieux de diffusion n’augmentent pas pour autant… C’est pour cela aussi que la recherche de partenaires culturels, au début de chaque édition de la « Résidence point de vue – point d’écoute », est si importante : c’est un but concret, avec une deadline, qui pousse à aller de l’avant – au prix d’être sous pression de temps quelquefois. Mais c’est pour la bonne cause : montrer le fruit du travail des résident.e.s sur grand écran devant un public !
Le film réalisé dans le cadre de la « Résidence point de vue – point d’écoute » #4 sera montré pour la première fois fin janvier 2026 lors de la 7ème édition du festival de cinéma En ville !. Avec le soutien de Peliskan et la Fédération Wallonie-Bruxelles.
- Stefanie Bodien est chercheuse indépendante, programmatrice freelance et réalisatrice. Ses centres d’intérêts se situent entre autres dans le domaine du film documentaire expérimental ainsi que dans l’histoire du cinéma et des festivals. Elle a dirigé l’édition du coffret « Peter Nestler, 9 films de 1962 à 2008 », paru chez Survivance. Depuis 2021, elle est responsable de l’Atelier de production du GSARA à Bruxelles. ↩︎