La revue trimestrielle du Gsara


Radio

Réveiller les consciences, affirmer la résistance

Cayetana CarrionOptiques n°7 – printemps 2025

« La Cuisse de Jupiter » : l’émission féministe citoyenne du GSARA.

Notre régionale de Bruxelles a développé au cours des années une véritable expertise et un savoir-faire dans la mise en place de projets radiophoniques citoyens et dans l’accompagnement/animation de ceux-ci. Nos émissions, souvent nées d’initiatives citoyennes, offrent ainsi un espace d’expression accessible à toutes et tous, où le partage de points de vue, les interrogations et la co-construction d’une réflexion critique autour de sujets de société contemporains est possible.

Le projet de radio citoyenne féministe, « La Cuisse de Jupiter », fait partie de cette démarche. Lancé en décembre dernier, le projet est né à l’initiative de citoyennes intéressées de libérer leur parole et de faire entendre leurs voix sur des questions qui les touchent au quotidien en tant que femmes. Une première émission pilote a été produite et nous a donné une idée du ton et de la teneur de l’émission.

Nous nous sommes entretenues avec Geraldine Catino et Seda Sat, deux participantes qui ont accepté de nous raconter les raisons qui les ont motivées à rejoindre le groupe et le rôle qu’elles jouent dans l’émission. Nous avons également discuté avec Pauline Gaudoux, responsable de la régionale de Bruxelles et qui accompagne le projet, pour rendre compte de la genèse et du processus du projet.

Changer les choses, y contribuer à partir du quotidien et des ressources de chacune, révéler la voix des femmes, légitimer leurs préoccupations et leurs points de vue, voilà ce que ce projet d’éducation permanente s’attache à promouvoir. Le tout avec humour et légèreté.

Décalées

Observatrices de la réalité sociale, politique et économique, le point de départ des participantes a été la nécessité de s’accorder un espace d’expression par et pour les femmes, capable de leur permettre d’aborder collectivement un ensemble de sujets qui les affectent sous un prisme féministe, de manière décalée et avec humour… comme le nom de l’émission le laisse présager. Rassemblant des femmes d’âges, d’origines et d’horizons divers, l’émission « La Cuisse de Jupiter » entend aborder les thèmes d’actualité à travers des chroniques mettant en lumière l’expérience des femmes dans différents secteurs professionnels, l’histoire des femmes oubliées, ou le patriarcat et ses effets.

D’autres rubriques agrémentent et complètent l’émission sur un ton plus léger mais qui abordent des sujets tout aussi importants : imaginer par le décalage pour mieux éclairer la réalité (que se passerait-il si les hommes avaient leurs règles ?),  encourager la prise de conscience et l’engagement par la pédagogie et l’introspection (une lecture positive des insultes : explorer leurs origines, se les approprier pour les désactiver), favoriser la réflexion critique et piquer notre curiosité sur des thèmes plus ou moins tabous comme ceux abordés dans « La minute rose » animée par Geraldine.

Féministe de la première heure, Geraldine entend faire passer de vrais messages et donner envie d’écouter, de faire réfléchir toutes les générations, tant les hommes que les femmes. La légèreté et l’humour traversent les différentes rubriques, mais le but est bien de « réveiller les consciences » explique-t-elle, et de « s’approprier et se positionner ensemble sur des problématiques qui nous touchent directement » ajoute Seda, animatrice de l’émission. Point besoin d’être toutes tout le temps d’accord, selon elle : c’est bien le débat contradictoire et argumenté, dans le respect de chacune et sans jugement, qui nourrit le groupe et pousse la réflexion critique au-delà de ce que chacune des participantes aurait pu imaginer… pour leur propre bénéfice et celui des auditeur.ices.

S’engager et résister…

Face aux politiques conservatrices qui se mettent en place depuis quelques années dans divers pays occidentaux, y compris en Belgique, et qui présagent le recul des droits durement acquis par les femmes (par exemple, l’annulation de la loi Roe vs Wade aux Etats-Unis en 2022, dont la conséquence est que l’avortement n’est plus un droit constitutionnel), ainsi qu’un risque de renforcement des inégalités sociales et économiques de genre, les femmes n’oublient pas les mots prononcés par Simone de Beauvoir lorsque fut adoptée en France, en 1975, la loi encadrant la dépénalisation de l’avortement  : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

Tel pourrait-on dire, est le mantra de la nouvelle émission féministe du GSARA. La droitisation de bon nombre de médias traditionnels et le retour en arrière des mentalités, analyse Seda, nous motivent à entrer en résistance. Tel est aussi le rôle, comme le rappelle Geraldine en évoquant l’avènement des radios libres dans les années 1980, des radios alternatives : encourager la libération de la parole et entrer en résistance. Et de citer l’exemple de Radio Begum en Afghanistan, une radio faite « par les femmes et pour les femmes » qui dispensait, jusqu’à la suspension de sa diffusion par les talibans en février de cette année, des cours pour les afghanes privées d’école secondaire.

par l’humour

Les deux participantes s’accordent sur l’importance de l’humour pour attirer l’envie d’écouter, mais aussi comme dispositif pour dénoncer et déconstruire les discours sexistes et masculinistes de plus en plus présents dans les réseaux sociaux, le fonctionnement du patriarcat et les croyances qu’il véhicule à propos des rôles des hommes et des femmes notamment. Car, comme l’explique Nelly Quemener, chercheuse en études médiatiques et en analyse des discours humoristiques de l’Université Sorbonne Nouvelle, l’humour a une dimension sociale et politique. Il « jouit d’un pouvoir transformatif. Ça veut dire qu’il permet de faire passer des messages et de dire des choses qui ne seraient pas dites autrement. L’humour permet d’évoquer des tabous sur des violences, par exemple, et d’amener des sujets parfois très sensibles. L’humour a le pouvoir d’offrir une place à des acteurs qui, en général, n’ont pas la parole dans la société. »1

Conclusion

Aspirant à aborder des sujets lourds avec humour et légèreté, l’émission « La Cuisse de Jupiter », a pour vocation de rassembler des femmes volontaires de tout âge, origines et horizons afin de faire circuler une parole libre, de cultiver la pluralité de la pensée, de la partager et de promouvoir une réflexion critique et fondée autour de questions qui les touchent. S’approprier un espace de parole et d’expression plus représentatif des voix de toutes les femmes – celles du peuple, comme le revendique Geraldine – est en soi une forme de résistance vis-à-vis de médias qui s’attachent à reconnaître principalement la voix de femmes célèbres, comme ce fut le cas lors de l’apparition du phénomène #MeToo qui dénonçait les agressions sexuelles subies par des artistes reconnues dans la sphère du cinéma. C’est important. Mais qu’en est-il de la voix de la femme de tous les jours qui est tabassée ou violée ? questionne Geraldine.

À l’heure où les politiques gouvernementales et l’ambiance internationale se montrent ouvertement défavorables aux femmes, notamment en matière de santé et de droits économiques, et que la confiscation de la parole citoyenne est un véritable risque, il est utile de rappeler le rôle important joué par les radios libres : « imaginons qu’on revienne à une époque de confiscation de la parole par les grands médias, les radios associatives seraient dès lors des poches de résistance. C’est essentiel de maintenir ces outils ! »2. La radio, conclut Seda, est un outil libérateur en période obscurantiste.

L’émission La Cuisse de Jupiter est diffusée sur les ondes de Radio Panik les premiers lundis du mois, de 11h00 à midi.

  1. Lire l’entretien avec Nelly Quemener, chercheuse à l’Université Sorbonne Nouvelle : « Le vrai pouvoir de l’humour, c’est le pouvoir qu’on lui accorde », Le Webzine du CSA, 9 décembre 2024. https://regulation.be/2024/12/09/le-vrai-pouvoir-de-lhumour-cest-le-pouvoir-quon-lui-accorde/ ↩︎
  2. Lire l’article de Jéhanne Bergé, « Radios associatives, des îlots de liberté dans le haut parleur », AlterEchos, 19 décembre 2022. https://www.alterechos.be/longform/radios-associatives-des-ilots-de-liberte-dans-le-haut-parleur/ ↩︎

Cayetana Carrion

Coordinatrice pédagogique – GSARA asbl