La revue trimestrielle du Gsara


Interview

Dans les coulisses des comités de lecture : « Un film n’est pas choisi pour son avancement, mais parce qu’il y a du cinéma »

Stefanie BodienOptiques n°1 – automne 2023

Rencontre avec Clément Abbey à propos des comités de lecture.

Trois fois par an, un comité de lecture se réunit pour octroyer les aides que l’Atelier de production du GSARA délivre en soutien aux réalisateurs de films documentaires. D’une part, le comité octroie des bourses à l’écriture et aux repérages pour un premier ou deuxième film (une fois par an), d’autre part, il choisit les projets qui bénéficieront d’une aide à la post-production sous la forme de prestation de service pour le montage image, le montage son/le mixage ou l’étalonnage (deux fois par an).

Dans l’interview qui suit, nous donnons la parole à Clément Abbey , l’un des lauréats de la bourse à l’écriture en 2022. Un an plus tard, nous l’avons invité à participer à son tour à la sélection des réalisateurs pouvant bénéficier de cette même bourse. Clément témoigne de son expérience des deux côtés de ce moment intense et parfois difficile que représente un comité de lecture : du côté des candidats et du côté des lecteurs.

Clément Abbey a terminé ses études de réalisation à l’IAD en 2014 où il a présenté « Les visites » son film de fin d’études. Ensuite il a travaillé comme régisseur pour des films de fiction et comme réalisateur à la RTBF. En 2021, son premier long-métrage documentaire, Bibliothèque Publique, produit par le CVB et TS production, a reçu un prix spécial du jury au festival Doc Lisboa de Lisbonne et a été montré dans plusieurs salles en Belgique.

Bande-annonce de Bibliothèque Publique, le premier long-métrage documentaire de Clément Abbey.

Comment as-tu entendu parler de la bourse à l’écriture et aux repérages que le GSARA octroie une fois par an ?

J’avais déjà fait des repérages pour mon film durant l’été 2021. Début 2022, j’ai constitué une fiche avec toutes les possibilités de financement, dont Brouillon d’un rêve, Cinémondes, l’Atelier de production du GSARA et plus tard pour le pitch du festival Millénium.

J’ai d’ailleurs été accepté par tous les quatre !

De quoi parle ton film et comment as-tu procédé pour écrire le dossier ?

Le titre est Aires de repos. C’est un film de rencontres sur les aires d’autoroute de la E40, qui traverse la Belgique de part en part, de l’Allemagne à la France, jusqu’à Calais : j’y ai croisé et je continue d’y croiser des personnes aux profils très différents (des travailleurs épuisés, des vacanciers qui rentrent le cœur serré, des personnes en errance ou en exil, des personnes qui cherchent aussi à faire des rencontres sexuelles et/ou amoureuses). Chacune d’elles cherche le repos le temps d’une pause et considère plus globalement le besoin de recul et de repos dont elle a besoin par rapport à une société du travail et du loisir qui file à toute allure.

Pour écrire le dossier destiné au GSARA, je me suis basé sur mes premiers repérages faits en 2021 avec un appareil photo et un micro-enregistreur. Finalement, j’ai dû tout écrire de mémoire parce qu’on m’a volé mon ordinateur en octobre 2021. Je n’avais plus aucune photo et j’avais perdu toutes mes notes.

Peux-tu expliquer aux lecteurs quelles étaient les différentes étapes lorsque tu as postulé pour une bourse à l’écriture et aux repérages au GSARA ? En quoi cette expérience t’a aidé à avancer dans le processus d’écriture ?

Tout d’abord, c’est toujours bénéfique d’avoir un horizon de dépôt de dossier, ça stimule l’écriture. Ce dépôt au GSARA arrivait au bon moment pour que je traite la matière que j’avais commencé à récolter à l’été 2021 et que j’en extraie un aperçu de mes intentions.

Entre le dépôt du dossier et le moment où le comité s’est réuni, il y a eu l’été 2022 pendant lequel je suis reparti en repérages. Avant ces repérages, je t’ai rencontrée, Stefanie,1et cela m’a permis de gagner en confiance sur ce projet. J’ai fait de nouvelles rencontres, notamment de personnes exilées pendant tout l’été. Puis, en septembre, alors que j’étais tout empreint de ces avancées, je t’ai appelée pour donner des nouvelles du projet et j’ai aussi rencontré la rapportrice de mon projet2. Je sortais de repérages éprouvants, ça m’a fait du bien psychologiquement d’échanger avec vous. J’étais encore sans producteur à ce moment-là et je manquais d’interlocuteurs. »

Après le comité, je t’ai appelé pour t’apporter la bonne nouvelle, mentionnant notamment que le jury avait accepté ton projet à l’unanimité. Te souviens-tu de ce moment spécial ? Comment as-tu utilisé l’argent de la bourse ? A-t-elle permis de faire avancer ton projet ?

J’ai été content bien entendu, car c’est un soutien également moral, essentiellement moral, je dirais même. On travaille beaucoup seul, et savoir qu’un jury estime qu’on est sur la bonne piste, c’est très encourageant. L’argent de la bourse, je l’ai utilisé pour continuer à faire des repérages : se rendre disponible et se rendre sur les aires de repos coûte en effet de l’argent. Ça sert aussi à prendre le temps d’écrire, d’envoyer le projet à des séances de pitch dans des festivals belges ou internationaux. Ça sert à se déplacer dans ces festivals, et au final, ça a fini par payer, car j’ai pu, grâce à cela, rencontrer les personnes qui sont aujourd’hui mes producteur.rice.s : Julie Frères pour Dérives, que j’ai rencontrée au pitch du festival Millenium et Marc Faye, de Novanima, qui m’a contacté après une séance de pitch au Festival de cinéma de Brives, où le projet a remporté le prix du meilleur scénario.

Je t’ai demandé, seulement quelques mois après, de faire partie du comité de lecture 2023 pour la bourse à l’écriture. Ton dossier et ta démarche sont très matures, ton film précédent très réussi et par conséquent il me semblait pertinent de te proposer de passer « de l’autre côté ». Je me souviens que tu hésitais dans un premier temps, aussi en vue du temps que cela allait te prendre….

J’étais très content d’avoir été invité au comité mais en effet, la vingtaine de dossier que j’allais devoir examiner m’ont fait un peu peur. Finalement, j’ai mis une trentaine d’heures réparties sur trois semaines pour tout lire et prendre des notes : à peu près une heure de lecture pour chaque dossier et en moyenne une demi-heure de visionnage de films3. J’étais aussi rapporteur pour trois projets, j’ai donc rencontré trois des cinéastes pendant environ deux heures chacun. C’est un sacré investissement au niveau du temps ! Mais je ne regrette pas…

Peux-tu nous parler de ton expérience de rapporteur ? Pour toi, est-ce que ce système fait sens ?

Rencontrer les gens crée un lien plus intense avec le sujet. Enfin, j’imagine que ça dépend, il peut y avoir des situations où on n’accroche pas du tout, où on a du mal à comprendre la démarche de la personne. Mais j’avais bien compris qu’il ne s’agissait pas de défendre à tout prix le projet. Il s’agit plutôt d’essayer d’en savoir plus et de creuser là où des questions s’imposaient à la lecture du dossier, que ce soit sur le plan de la production ou sur le plan artistique.

Personnellement, ce système de rapporteur fait tout à fait sens, oui. De fait, beaucoup de personnes ont du mal à formuler les choses par écrit. C’est en leur parlant qu’on peut se rendre compte si leur projet est beaucoup plus avancé que ce qu’ils ont réussi à faire passer dans l’écriture. Aussi, le fait de pouvoir visionner les films que les candidats ont fait précédemment est très précieux car il peut éclairer sur la forme recherchée d’un film en devenir – parfois davantage que l’écriture.

Pour conclure : que retiens-tu de ta double expérience du comité de lecture, d’une part en tant que candidat, d’autre part en tant que lecteur ? Qu’est-ce que la participation au comité de lecture t’a appris ?

Je pense que le rapporteur doit vraiment avoir du tact, de l’à-propos, sentir le potentiel des choses. Je le dis notamment en me souvenant de cette situation quand je devais, moi, rencontrer un rapporteur au moment où j’ai déposé mon film en 2022. On est très fragiles à ce stade-là, tout au début du projet. Souvent, c’est la première fois qu’on le montre à quelqu’un…

Sinon, pendant la discussion avec les autres membres du comité, qui était fort enrichissante d’ailleurs, j’ai observé qu’aussi bien des projets balbutiants que des projets déjà bien avancés faisaient partie des lauréats4. Finalement, ce n’est pas l’état d’avancement qui est décisif. Le comité ne choisit pas un film parce qu’il est plus avancé qu’un autre, mais parce qu’il y a du cinéma : quelque chose d’assez indéfinissable, un certain rapport au temps, une résonance particulière entre une matière et une forme. Quelque chose de tenu (de ténu parfois aussi) et d’ouvert en même temps.

Pour plus d’informations sur les modalités du dépôt d’un dossier, rendez-vous sur notre site:

https://gsara.be/atelier-production/

ou en écrivant à la responsable de l’Atelier de production Stefanie Bodien:

stefanie.bodien@gsara.be

  1. Stefanie Bodien, responsable de l’Atelier. ↩︎
  2. Le rapporteur/la rapportrice est une personne qui fait partie du comité de lecture et qui rencontre le ou la cinéaste pour parler plus en détail de son dossier. C’est il/elle qui connaîtra le mieux le dossier et pourra répondre aux questions des autres membres du comité. ↩︎
  3. Sont joints au dossier les films précédemment réalisés : film de fin d’études ou le premier film.
    En effet, la bourse d’aide à l’écriture délivrée par le GSARA s’adresse aux projets de premier ou deuxième film. ↩︎
  4. Quatre projets ont reçu une bourse de 1500 € chacun. ↩︎

Stefanie Bodien

Responsable de l’Atelier de Production