La revue trimestrielle du Gsara


L’oeil de l’archiviste

« Vous êtes ici pour manger le pain des belges » : la rengaine du racisme ordinaire en temps de crise

Alain-Brice HaeghensOptiques n°8 – été 2025

Dans ce numéro d’Optiques, l’Œil de l’archiviste s’est penché sur la question des travailleurs immigrés en Belgique et du racisme dont ils étaient victimes.

Le thème de l’immigration est sans cesse à la une de l’actualité. Alors que la droite extrême se renforce dangereusement dans le monde, les populations immigrées sont sans cesse pointées du doigt comme l’un des problèmes majeurs de nos sociétés. Mais l’argument voulant qu’il faille « renvoyer tous les étrangers chez eux » n’est pas nouveau. A chaque crise, qu’elle soit économique ou non, l’immigration semble le nœud du problème.

Pour s’en rendre compte, on rembobine, on retourne dans le tournant des années 1970-1980 en écoutant justement ces « travailleurs immigrés ». Nous vous proposons deux émissions de la FGTB : « Paroles d’immigrants » (1979) et « Mon délégué, c’est un immigré », numérisées par les soins de la Sonuma dans le cadre du projet européen Numeur (voir ci-dessous).

La première émission évoque l’usine de la Radio Corporation of America, située dans le parc industriel des Hauts Sarts, qui emploie alors un grand nombre de travailleurs immigrés. En 1978-1979, elle est transférée en Malaisie, faisant perdre leur emploi à 450 travailleuses. La seconde nous présente la situation des immigrés dans le monde du travail (notamment chez Caterpillar ou à la FN Herstal). Certains immigrés sont délégués syndicaux, ce qui est primordial pour faire entendre leur voix.

Dans ces deux archives, des « travailleurs immigrés » sont interrogés sur leur expérience et leur ressenti en tant qu’étrangers en Belgique. A cette époque, ils sont environ 800.000 dans notre pays. Alors qu’ils résident souvent en Belgique depuis de nombreuses années – certains y sont même nés – ils constatent que la crise économique fait renaître une vague de racisme et de discrimination. « Vous êtes ici pour manger le pain des Belges », « les étrangers, s’ils partaient, ce serait déjà mieux »,… Si on tente de leur faire porter la responsabilité de la crise, ils tiennent à rappeler qu’ils sont avant tout venus de l’étranger pour nous aider à faire face à nos besoins économiques.

Ils soulignent également que l’on a fait appel à eux pour effectuer des travaux insalubres et dangereux, des emplois que les belges ne voulaient justement plus occuper. On leur demandait de ne pas être trop qualifiés, peu d’entre eux étaient d’ailleurs des cadres, et l’avancement était beaucoup plus rapide pour un ouvrier belge qu’un étranger. S’ils sont au chômage, ils deviennent également des « profiteurs » alors qu’ « un américain qui vient les poches pleines, on ne le considère pas comme un immigré ».

Il leur apparaît donc nécessaire d’unir leur voix, étant donné qu’on leur reproche parfois de ne pas être assez combatifs d’un point de vue syndical et que ce racisme existe également dans les rangs des syndicats. Il faut davantage de représentants syndicaux issus de l’immigration afin de traiter ces problèmes spécifiques. Il faut faire un travail en profondeur pour montrer à la population belge qu’ils ne doivent pas rejeter les travailleurs immigrés. Montrer qu’ils contribuent, eux aussi, au bien-être du pays et que les chasser constituerait une perte économique et culturelle pour la Belgique.

Plus de quarante ans après, le spectre du racisme est toujours bel et bien présent. La crise est à nouveau là et avec elle cette vieille rengaine du « retourne dans ton pays ». Il apparaît encore aujourd’hui difficile de faire société. Le racisme et la discrimination restent un danger à la fois pour les immigrés, pour la démocratie et pour la population belge. Le contexte international et un entrisme exacerbé mettent sans cesse en danger l’idée pourtant simple du vivre-ensemble.

Le projet Numeur, un programme ambitieux de conservation

Engagée dans la sauvegarde du patrimoine audiovisuel et dans sa transmission aux générations actuelles ou futures, la SONUMA a pour missions principales la numérisation, la pérennisation et la valorisation des archives audiovisuelles francophones belges, précieux témoignages de notre histoire collective.

Elle dispose d’un large fonds de près de 190.000 heures de sons et d’images. Des collections qu’elle valorise auprès de groupes cibles tels que l’enseignement, la recherche scientifique, les opérateurs culturels, les professionnels de l’audiovisuel, mais également le grand public. La SONUMA travaille en collaboration avec des partenaires locaux et internationaux pour promouvoir la culture et l’histoire audiovisuelle de Belgique et est constamment à la recherche de nouvelles opportunités pour faire connaître son travail et enrichir son catalogue.

Le projet Numeur s’inscrit dans le cadre du plan européen de relance et de résilience, à la suite d’un appel à projets lancé par la Fédération Wallonie-Bruxelles pour la numérisation de contenus audiovisuels. Grâce à ce soutien, la SONUMA déploie un programme ambitieux visant la restauration, la numérisation, la conservation numérique, l’indexation et la valorisation d’œuvres audiovisuelles ayant un intérêt esthétique, technique et historique pour la Fédération Wallonie-Bruxelles. Cette initiative reflète l’engagement de la SONUMA à préserver et valoriser le riche patrimoine audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour les générations futures.

Alain-Brice Haeghens

Chargé de l’Archivage et de la Médiathèque – GSARA asbl